épisode 85 : 11 février — Révélations

Publié le par strelets

En ce jour, nous fêtons l’anniversaire de la première apparition de la Vierge à Bernadette Soubirous. Plus impérial, les Japonais commémorent la fondation de leur État par Jimmu, premier empereur. Empire toujours, mais plus proche de chez nous : fraîchement marié à Jelena Dragaš / Hélène Paléologue, Manuel II est enfin couronné empereur, pratiquement un an après la mort de son père, Jean V Paléologue.

Malheureusement, les fêtes impériales ne justifient pas une journée d’absence. Direction Souaville, option marche sous la neige. Et là, il y a en plus un petit vent bien glacial qui vous frigorifie jusqu’aux os. Comme on a un temps qui évoque le climat d’Irkoutsk (au printemps), j’ai ressorti ma chapka. À deux pas du lycée, j’entends des élèves s’esclaffer « wah ! il a une foufoune sur la tête ! » C’est élégant, c’est fin. Je regrette déjà l’écureuil (cf. épisode 53).


Je commence à sympathiser avec mes collègues ; hélas ! aucun ne finit à mes heures, ce qui aurait pu m’épargner un peu mes pieds et chaussures.


Aujourd’hui, les annonces de la salle des profs valent le détour. Les dates de conseil de classe sont fixées. Les deux qui me concernent se déroulent aux jours où je suis là — pas moyen d’esquiver. Double effet de la loose : l’un d’eux commence à 18H30 ; je n’ose imaginer à quelle heure il va finir, et je frémis à l’idée de celle à laquelle je serai chez moi.


L’annonce d’à-côté est plus drôle encore. Avant cela, il faut que vous sachiez qu’il existe un site internet dédié aux APB (admissions post-bac) et qui centralise les demandes des élèves de terminale pour la poursuite de leurs études — certains, d’ailleurs, les poursuivent sans jamais les rattraper. Les professeurs y entrent la moyenne annuelle et une appréciation. Déjà, ce qui est marrant, c’est que les élèves peuvent les consulter (vous, je sais pas, mais moi, je n’ai jamais su ce qu’il y avait sur mes dossiers de prépa), ce qui peut vous valoir quelques regards des cancres pour lesquels vous avez mis qu’ils ne faisaient rien en classe, ce qui va pourrir leur dossier de classe prépa. Ne riez pas, ce site est un véritable cimetière aux illusions.


Bref, l’administration nous informe que les notes ont été remontées par ses soins. C’est beau de voir un établissement à ce point impliqué dans la réussite de ses élèves. Mais ça ne s’arrête pas là : on demande aux professeurs principaux de terminale d’en avertir les élèves pour qu’ils vérifient que la bonification a bien eu lieu. Je me demande à quoi ça sert de leur mettre des notes, alors qu’au bout du compte il faut rentrer dans le quota correspondant au plan quinquennal de progression du niveau établi au rectorat. Bonjour la crédibilité…


Ma consternation est à son comble quand j’entends un collègue, un de ces profs présents depuis si longtemps qu’ils font partie des meubles et croient pouvoir bénéficier de privilèges spéciaux,  dire que s’il n’a pas les niveaux qu’il demande (pas de seconde, pas de classes technologiques) l’année prochaine, il se fera mettre en arrêt maladie.


Opération glandouille… pardon, travail en autonomie (pédagogie constructiviste, comme on m’a expliqué) au CDI avec les secondes en demi-groupe. Là, j’en apprends une bien bonne. Alors que je passe dans les groupes pour voir si on a besoin de mon aide, une élève me dit tout de go :

« M’sieur, vous êtes pas comme on nous avait dit.

- Ah ? (que voulez-vous répondre à ça ? Je prends mon air mystérieux qui invite à poursuivre.)

- Ben ouais, Hakim nous avait dit qu’il fallait vous mettre la misère car vous aviez une tête de victime.

- ?!… »

Je savais bien qu’un de mes anciens élèves avait savonné la pente (cf. épisode 78). Quelle fouine ! s’il met un doigt de pied sur la ligne jaune, je lui démonte la tête.


La jeune Constance est toujours tracassée par ses hormones. J’ai été informé que depuis qu’elle a eu ses 18 ans la semaine dernière (et oui, 18 ans et encore en seconde, il y a des surdoués), elle se croit tout permis. Je demande un carnet de correspondance pour vérifier l’emploi du temps (en fait, je cherche un créneau pour coller Hakim dès qu’il m’en offrira le prétexte), et elle lance « si vous voulez me voir après les cours, je suis ouverte ». Situation embarrassante : soit je ne dis rien, au risque que ça continue, soit je recadre, mais ça peut déraper. Ce qui arrive. Je lui répond que sa remarque est déplacée et lui demande de plus faire ce type d’allusion, ce à quoi elle répond que j’ai l’esprit mal tourné. Évidemment, elle fait l’émoustillée quand je mentionne les redevances en nature dans la France d’Ancien Régime.


La journée s’achève enfin. Alors que je marche à travers les flocons et le vent, mon cœur se serre. Il est 18H. À cette heure-ci, je devrais être en train de commencer le premier TD du second semestre dans la douce chaleur d’une salle de la Sorbonne. Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient…

Publié dans Saison 1

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
<br /> Je trouve cette episode particulierement ENORME et drole! j'ai adorais "la foufoune". Courage<br /> <br /> <br />
Répondre