épisode 131 : 24 avril — Séparation (premier étage)

Publié le par strelets

En 1338 mourrait Théodore Ier Paléologue, marquis de Montferrat. Étrange destinée pour un singulier retournement de fortune. Sa mère, Yolande de Montferrat, est la deuxième épouse, sous le nom d’Irène Paléologue, d’Andronic II. Les marquis de Montferrat revendiquaient la région de Thessalonique, mais l’extinction de la lignée mâle fait qu’un Paléologue finit par être placé à la tête du marquisat. 

 

Je suis dans une vaste caverne. Comment suis-je arrivé là ? Impossible de me souvenir. Je continue donc d’avancer. Le couloir disparaît pour laisser place à une vaste salle. Au milieu coule une rivière. Il va falloir passer, mais comment ? Soudain, j’entends des clapotis. Une barque fend les flots vers moi. Comment, je ne sais, car il n’y a ni rames, ni voiles. À la proue se tient un vieillard à l’air revêche. Lorsque la barque touche la rive, il s’adresse à moi avant même que j’aie pu ouvrir la bouche : « Je peux t’emmener sur l’autre rive, me dit-il, mais tu dois acquitter le péage. » Ça tombe mal, je n’ai pas un sou sur moi. Bien évidemment, il n’accepte pas les paiements par carte bancaire. Il me fait un grand sourire : « si ta tâche n’est pas achevée là-haut, le repos éternel t’est refusé : tu dois la mener à son terme. » Me voyant peu disposé à rebrousser chemin, il siffle. « Occupe-toi de lui, Yuki », dit-il alors qu’un molosse à trois têtes se jette hors de la barque et me course jusque dans le passage par lequel je suis arrivé…

 

Et je m’éveille en sursaut au son du réveil. Encore un rêve idiot. Inutile de faire appel à Freud : je suis crevé, mais il faut que je me lève tôt pour surveiller le galop du jour.

 

Aujourd’hui est un jour un peu particulier. Pour une partie de nos élèves, c’est la fin du stage, alors que d’autres sont à la moitié. Pour certains groupes d’élèves, c’est donc le moment des adieux déchirants. Nous craignions un peu qu’avec des stages aussi courts, l’esprit si particulier qui imprègne cette prépa ne puisse se former. Heureusement, non : l’atmosphère de travail intense dans une ambiance décontractée et la constitution de liens solides continueront de marquer la formation que nous dispensons. Certains élèves auraient été prêts à faire une troisième semaine. Si on leur avait dit qu’ils aimeraient flinguer leur vacances à suivre des cours, l’auraient-ils cru ?

 

Un petit groupe retient mon attention ce matin. La séparation n’est visiblement pas simple. À moi aussi, ça fait quelque chose car, en quelques jours, ils sont apparus comme le noyau dur de mes fans. Hier, ils ont même été jusqu’à venir en cours avec des nœuds papillons et vouloir faire des photos à la fin de la séance. Je ne ferai pas l’hypocrite : ça fait plaisir. J’avais observé comment, au cours de la semaine, ils avaient rejoint mon fan club ou le groupe des lecteurs de ces chroniques sur un réseau social bien connu. Au cours de la journée, ils m’ajoutent en ami. Garder le contact avec les anciens me fait toujours plaisir, mais je pense brutalement à Horace Slughorn tissant son réseau d’anciens. Je devrai peut-être ouvrir mon Slug Club, d’autant que j’adore prendre des pots avec les élèves.

 

En même temps, une rapide conversation avec eux a fait apparaître quelles pouvaient être mes responsabilités. Ils ont participé à la diffusion des Chroniques de la loose parmi les élèves du stage. Certains élèves n’ont pas apprécié mes remarques sur le boulet. Plus grave, elles ont légitimé leurs propres caricatures. Jamais je n’avais imaginé pouvoir avoir une telle influence. Un sentiment de culpabilité m’envahit.

 

Pour la surveillance, j’avais amené un de mes paquets en retard. Une fois de plus, le destin a déjoué mes plans : le maître me confie une copie d’histoire à corriger en urgence, car l’élève fait partie de ceux qui finissent aujourd’hui. Je suis assez vite embêté : un roman russe de cinq copies doubles, avec plein de connaissances, mais c’est mal organisé et ça part dans tous les sens. J’abats donc le glaive de la justice et mets une mauvaise note pour non-respect des règles élémentaires de la dissertation.

 

Au passage, j’ai atteint un nadir en matière d’efficacité : une copie en trois heures ! À ma décharge, j’ai dû m’interrompre pour participer à l’élaboration de l’emploi du temps de la semaine. Pendant la dernière heure, je fais l’ouvreuse car les élèves doivent poser leur copie sur le tas adéquat, et chaque stage a cinq tas (deux sujets pour les IEP de province, trois pour Sciences-Po Paris). Ça peut avoir l’air évident mais, après trois à quatre heures de travail intensif, certains élèves sont incapables de faire la connexion entre le sujet qu’ils ont pris et le tas sur lequel mettre la copie.

 

Une collègue me taquine au sujet des sourires que j’échange avec certains élèves. lors de la reddition des copies Une élève (celle dont j’adore le prénom : on dirait une épithète de légion romaine) m’emprunte même mon feutre rouge pour écrire mon adresse électronique sur sa main. Pas de panique, c’est juste pour passer commande des polys.

 

Le week-end commence au milieu de samedi, mais il va falloir bosser pour faire ces polys, préparer quelques cours pour la semaine car j’ai grillé presque toutes mes cartouches cette semaine… et faire quelque chose de ces copies en retard. J’ai le sentiment que je vais finir ces vacances plus fatigué que je ne les ai commencé.

Publié dans Saison 1

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